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04 mars 2019

"Refonder le contrat social avec les fonctionnaires"

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Anicet Le Pors, ministre de la Fonction publique entre 1981 et 1984

Emmanuel Macron a décidé de s’en prendre aux salariés sous statuts, que ceux-ci soient réglementaires ou législatifs. Il a notamment stigmatisé au cours de la campagne présidentielle le statut général des fonctionnaires, le jugeant « inapproprié ». Arrivé à la tête de l’État il a d’abord parachevé la réforme du code du travail entreprise sous le quinquennat de François Hollande imposant comme référence sociale majeure le contrat individuel de droit privé négocié de gré à gré tout en bas de la hiérarchie des normes. Restait alors à en généraliser l’application, dans le privé comme dans le public. Il y avait des précédents (La Poste, France Télécom), mais le président de la République a choisi d’entreprendre sa croisade néolibérale par la réforme de la SNCF pour supprimer le statut des cheminots au sein d’un service public dégradé. La rouie était libre alors pour une réforme de la fonction publique concernant un cinquième de la population active du pays.

À cette fin, le premier ministre Édouard Philippe a lancé, le 13 octobre 2017, une gigantesque opération baptisée CAP22, à la fois un leurre au sens où l’exécutif savait parfaitement ce qu’il voulait faire, mais c’était aussi le moyen d’accréditer l’idée d’une politique sérieuse parce que complexe et d’une réelle élaboration collective. Mais la démarche s’est révélée chaotique, un rapport qui devait être rendu public fin mars 2018 ne l’a pas été et l’opération a tourné au fiasco. Car dès le 1er février 2018 le premier ministre a annoncé les trois terrains principaux de la réforme : le recrutement massif de contractuels au lieu du recrutement par concours de fonctionnaires, l’établissement de plans de départs volontaires, la rémunération dite au mérite. Ces orientations ont été renouvelées lors d’un second comité interministériel de transformation publique, le 29 octobre et un projet de réforme de la fonction publique a été présenté le 13 février 2019, dans la perspective d’une adoption définitive d’un projet de loi avant l’été.

Le statut général des fonctionnaires n’a cessé d’être attaqué depuis la promulgation de son titre 1er par la loi du 13 juillet 1983, soit sous forme d’offensives frontales (loi Galland du 13 juillet 1987, rapport annuel du Conseil d’État en 2003, réforme Sarkozy-livre blanc Silicani en 2007-2008), soit sous forme de plusieurs centaines de modifications ponctuelles du statut général conduisant à un véritable « mitage » du texte et le dénaturant partiellement. Il reste que, par là et depuis 36 ans, le statut a néanmoins prouvé sa solidité et son adaptabilité. L’opération CAP 22 relevait de la première catégorie. Inscrivant leur démarche dans la seconde catégorie, les promoteurs de la réforme aujourd’hui présentée affirment vouloir maintenir le statut, mais les nombreuses modifications annoncées pourraient, à terme, le rendre inopérant. Ce qui singularise la politique actuelle c’est une volonté de substituer l’idéologie managériale à l’esprit de service public et pour cela lever tous les obstacles à sa marchandisation. Les conséquences en seraient graves pour les administrations de l’État, des collectivités territoriales et les établissements publics hospitaliers et de recherche. Une politique profondément contraire à la conception française de la fonction publique. Ce serait, pensent les managers qui nous gouvernent, l’heure enfin venue du New Public Management.

Un projet qui aligne le secteur public sur le secteur privé

Le projet met d’entrée en cause un statut qui n’offrirait pas aux fonctionnaires « la reconnaissance et les perspectives professionnelles escomptées ». Mais outre qu’une telle affirmation ne repose sur aucune enquête d’opinion, elle dispense ses auteurs de l’analyse des causes d’une insatisfaction réelle des agents de la fonction publique qui tiennent notamment à la nature des missions qui leurs sont assignées par les exécutifs, aux conditions de vie et de travail qui leurs sont faites, à l’insuffisance de leur pouvoir d’achat et à la précarité, aux entraves mises à l’exercice des droits. Cette carence dans l’analyse scientifique des causes se retrouve dans celle des effets des mesures envisagées. Aucune étude d’impact ne figure au dossier communiqué aux organisations syndicales alors qu’une telle étude devrait être préalable à toute formulation des réformes. Cette politique est dépourvue de toute réflexion sur la gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences, de la mise en œuvre de multi-carrières assorties des formations correspondantes, de justification sérieuse sur le recours aux contractuels, de la mesure concrète des incidences sectorielles de la numérisation, des conditions de promotion de l’égalité femmes-hommes, de la participation effective des personnels à la gestion des services au lieu de bavardages récurrents sur le dialogue social.

Toutes autres sont les préoccupations du gouvernement qui n’aborde la réforme du statut que sous l’angle d’une simple transposition de management de l’entreprise privée au secteur public. Il s’agit de « responsabiliser les managers publics en développant les leviers qui leur permettront d’être de vrais chefs d’équipe ». On voit ici poindre une conception autoritaire antérieure au statut qui nécessite la levée de toute contrainte à l’exercice d’un pouvoir hiérarchique qui ne souffre pas la discussion. À cette fin la mesure principale consiste à recruter massivement des contractuels à tous niveaux et dans toutes les catégories de la fonction publique de l’État afin de disposer de personnels plus dociles par conformisme ou intérêt. Il est significativement précisé que des contractuels venant du privé pourront occuper des postes de direction. Les contrats pourront prendre la forme de contrats de projets, lesquels projets pouvaient tout aussi bien être conçus dans le cadre statutaire actuel. Un nouveau type de CDD pour la fonction publique sera créé. La fonction publique territoriale verra élargies les possibilités de contrats à temps non complets. Le projet prévoit également, bien que de manière encore très imprécise, des mesures clairement, inspirées du code du travail, la possibilité de rupture conventionnelle des contrats, plans de départs volontaires, etc. Toutes ces dispositions visent à écarter progressivement les fonctionnaires en place au profit de personnels sous contrats.

Un projet qui porte atteinte au service public et qui réduit les garanties statutaires

Cette politique qui vise à affaiblir le statut en le contournant, est en premier lieu préjudiciable à l’administration elle-même dont la neutralité et l’impartialité sont menacées par un recrutement moins garanti dans son intégrité, une formation non maitrisée et une stabilité réduite. D’où les références incantatoires à la déontologie, expression particulière de l’extension recherchée du « droit souple », non normatif. Le contrat assorti d’un code de bonne conduite est généralement plus permissif que le droit positif. Au plan territorial ces pratiques ont la faveur des gestionnaires des métropoles et des intercommunalités, mais gagnent aussi certains élus locaux. Certaines des dispositions du projet vont favoriser cette évolution. Un contrôle dit déontologique sera renforcé sur des activités dites sensibles. Ce contrôle sera également exercé sur les fonctionnaires effectuant des allers-retors entre le public et le privé, ce qui est une manière d’en révéler l’existence sinon de l’encourager. La pratique du « rétro-pantouflage » s’est beaucoup développée au cours des dernières années, elle a été notamment le fait de l’Inspection générale des Finances, Emmanuel Macron en est le meilleur exemple. Cette pratique vise à rien moins qu’à privatiser l’État.

Les garanties statutaires des fonctionnaires sortiraient affaiblies d’une telle réforme. Car il est d’autant plus question de dialogue social dans le projet que ce dialogue est méconnu par les pouvoirs publics : ainsi la place des négociations sur les rémunérations n’a cessé de se restreindre depuis 35 ans jusqu’au blocage de 2010. Toutes les organisations syndicales ont déploré la pratique de réunions multipliées qui ne tiennent aucun compte de leurs propositions. Les instances de concertation traditionnelles voient leurs compétences réduites. Les comités techniques paritaires (CTP) qui avaient vocation à intervenir dans la gestion des services, mais qui avaient perdu leur caractère paritaire au cours des dernières années (devenus alors des CT) disparaissent dans des comités sociaux d’administration (CSA) par fusion avec les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHDCT. Les commissions administratives paritaires ‘CAP) voient leurs compétences fortement diminuées. Leur avis préalable sur les questions d’avancement, de promotion, de mutation, de mobilité est supprimé (sauf sur ces deux derniers ponts pour la fonction publique hospitalière), ceci de manière à « doter les managers des leviers de ressources humaines nécessaires à leur action », avec les risques d’arbitraire et d’autoritarisme subséquents. Le recours aux ordonnances pour la validation de dispositions législatives en matière de négociation est très discutable. La rémunération au mérite comme levier de gestion des ressources humaines et l’entretien professionnel se substituant à la notation sont également évoqués mais sans plus de précision que par le passé. Une reprise en main de la gestion du temps de travail, notamment dans la FPT est clairement annoncée mais ses modalités restent imprécises.

Un projet qui tourne le dos à la conception française de la fonction publique

Le projet d’Emmanuel Macron ignore l’histoire. Il n’y est fait référence à aucun moment dans le discours gouvernemental. Or, la fonction publique française d’aujourd’hui est l’aboutissement d’un processus pluriséculaire qui a vu notamment la Révolution française supprimer les privilèges, la vénalité des charges publiques, puis un XIXe et un XXe siècle s’affronter deux lignes de forces, l’une autoritaire, l’autre démocratique, jusqu’au statut général des fonctionnaires après la deuxième guerre mondiale avec le statut général des fonctionnaires de l’État de 1946, statut fondateur consacrant la conception du fonctionnaire-citoyen contre celle du fonctionnaire-sujet qui avait prévalu jusque-là. Cette conception a été réaffirmée par le statut fédérateur de 1983 qui en a enrichi le contenu et l’a étendu aux agents publics des collectivités territoriales et à ceux des établissements publics hospitaliers et de recherche. Cette histoire permet d’identifier des tendances lourdes dont aucun gouvernement ne peut s’affranchir durablement. La connaissance de l’histoire est indispensable pour éclairer le présent et définir des perspectives également absentes du projet macronien qui ne se situe qu’ « ici et maintenant ».

Le projet d’Emmanuel Macron ignore la démarche rationnelle, scientifique, plus que jamais nécessaire dans un monde complexe. Le néolibéralisme a abandonné au marché les questions de gestion au moment où elles en appelaient à plus d’intelligence et de volonté. Les bases matérielles que constituait le secteur public ont été diminuées par les privatisations, la programmation a cédé devant la dérégulation, l’État et les collectivités publiques ont perdu leurs moyens d’expertise. En France, les instruments de planification économique, d’aménagement du territoire, de rationalisation des choix budgétaires, de prévision et de stratégie ont cédé le pas aux dogmes de la concurrence, de réduction de la dépense publique, d’une mondialisation financière ne souffrant aucune contestation. Cette régression de la raison est particulièrement sensible dans le service public vecteur de l’intérêt général. La réforme de la fonction publique, dite aussi de l’État est le dernier avatar de cette contre-révolution.

Le projet d’Emmanuel Macron est contraire à la morale républicaine. Sans qu’il soit besoin de revenir sur les turpitudes de l’entourage qu’il s’est choisi et ses observations méprisantes pour ceux que la réussite n’a pas gratifiés, il est le représentant d’une classe et d’une caste hautaine et dure aux plus faibles. La primauté de l’intérêt général, l’affirmation du principe d’égalité, l’éthique de la responsabilité sont des valeurs qu’il ne tient pas pour déterminantes. Ce comportement se retrouve dans le projet de réforme de la fonction publique : idéologie néolibérale au lieu de sens du service public et de l’État, autoritarisme hiérarchique plutôt que discussion et négociation, le manager à la place du citoyen.

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